Lundi, 20 octobre 2014

L’ancien chef du Service de chirurgie cardiovasculaire des Hôpitaux universitaires genevois s’était fait une renommée internationale

 Genève pleure une pointure en médecine. Le professeur Bernard Faidutti, ancien chef du Service de chirurgie cardiovasculaire des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), est décédé jeudi à l’âge de 78 ans. Cet as du bistouri avait acquis une renommée internationale en devenant le premier, en Europe, à réaliser un pontage aortocoronarien.

Né à Lyon en 1936, Bernard Faidutti y a appris la médecine, avant d’entrer comme professeur assistant aux HUG en 1972. Dix ans plus tard, il devient chef du Service de chirurgie cardiovasculaire, qu’il dirige jusqu’à sa retraite, en 2001.
Ambidextre, il était décrit par la profession comme un «technicien de génie» mais aussi comme un «chirurgien artisanal» qui ne rechignait pas aux plus petits gestes opératoires.
«Avec lui, chaque opération était un défi contre la mort», raconte le professeur Afksendiyos Kalangos, dont il fut le mentor et qui lui a succédé aux HUG (lire en page 28 ). «Il considérait chaque patient un peu comme un membre de sa propre famille. C’était un chirurgien hors pair, très exigeant vis-à-vis de lui-même et de ses collaborateurs. Il me disait souvent: «Si vous faites une erreur, le patient ne vous la pardonne pas.» J’ai beaucoup voyagé mais j’ai croisé peu de gens qui aient de telles qualités. J’ai travaillé huit ans avec lui et il m’impressionnait tous les jours!»
Ancien conseiller d’Etat en charge de la Santé, Guy-Olivier Segond se souvient d’un homme «très cultivé». Après sa retraite, il s’était consacré à l’écriture, publiant des livres sur Copernic, Kepler, Galilée et leurs rapports à la politique, sur le nucléaire pendant la Seconde Guerre mondiale et même une pièce de théâtre.
Antoine Grosjean

 Chirurgien de renommée mondiale
Un mois après, il ne se lasse pas de sa consécration: «C’est émouvant d’être élu à l’unanimité.» Médecin-chef du Service de chirurgie cardiovasculaire aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), le professeur Afksendiyos Kalangos (54 ans) a récemment été plébiscité pour présider la Société mondiale de chirurgie cardiothoracique.
«C’est une belle reconnaissance du rôle joué par les HUG dans ce domaine sur la scène internationale», poursuit le spécialiste dans son bureau empli de souvenirs. On y découvre quantité de diplômes, de photos et un arbre de vie africain, illustrant à merveille ses fréquentes missions humanitaires sur ce continent. De nombreuses icônes aussi. «J’ai fait toute ma scolarité à Istanbul (ndlr: sa ville natale) chez les Jésuites», précise cet homme de foi, président de la paroisse grecque de Chambésy depuis 2001 et membre du Conseil orthodoxe depuis 2003. Enfin, une gravure représentant un chirurgien et son équipe, en train d’opérer, lui tient particulièrement à cœur en ce jour d’interview. «C’est un cadeau offert par Bernard Faidutti, mon mentor, mon maître», informe ce colosse, dont la voix flanche soudain… car il vient d’apprendre le décès de son illustre aîné (lire notre article en page 17) . «J’ai senti l’apesanteur», déclare-t-il, très ému.

Succession douloureuse
C’est auprès de ce grand ponte de la médecine genevoise qu’Afksendiyos Kalangos a patiemment peaufiné ses gammes avant de lui succéder. Or cette succession ne s’est pas faite sans douleur. A l’époque, un autre talentueux médecin, René Prêtre, ambitionne lui aussi de reprendre le Service de chirurgie cardiovasculaire des HUG. La rivalité entre les deux hommes est si grande qu’elle entraîne un conflit public en 2001. Le 26 septembre, le Conseil d’Etat finit par nommer le médecin d’origine grecque, René Prêtre filant vers Zurich. Un grand jour pour Afksendiyos Kalangos… Malgré la désagréable sensation d’avoir été contesté pour ses origines. «J’ai été considéré par certains comme un outsider ne faisant pas partie du sérail», déplore-t-il, tout en se réjouissant d’avoir pu démontrer ses compétences, treize ans après son intronisation.
Mais voilà qu’en janvier dernier, les deux protagonistes se retrouvent à nouveau sur le devant de la scène. La tension entre les deux chirurgiens reste vive et on craint qu’elle menace la création d’un centre lémanique de cardiologie et de cardiochirurgie pédiatrique. La Tribune de Genève s’en est largement fait l’écho.
Depuis lors, le bistouri de la guerre a officiellement été enterré, si bien que la collaboration entre les HUG et le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) a pu démarrer. Or le Professeur Kalangos se pose encore des questions sur ce partenariat: «Je suis prêt à collaborer sur un pied d’égalité, explique le spécialiste. Mais j’ai de l’amertume aujourd’hui alors qu’on m’empêche d’opérer des enfants suisses.» Car pour l’heure, c’est René Prêtre, patron de la chirurgie cardiovasculaire du CHUV, qui se charge de ces mômes à Genève. Afksendiyos Kalangos, lui, n’a pour l’heure pas été sollicité par Lausanne… Heureusement, grâce à la Fondation Cœurs pour tous, créée en 1998 avec le soutien de l’ancien magistrat Guy-Olivier Segond et sa propre fondation, cet opérateur hors pair vole régulièrement au secours d’enfants souffrant de malformations cardiaques, aux quatre coins du monde. Des missions essentielles pour cet humaniste né, qui opère aussi certains week-ends en Grèce: «Je me sens le devoir d’aider mon pays, rongé par la crise!»

La sagesse de ses ancêtres grecs
Le vaillant quinquagénaire a de qui tenir, lui qui est issu d’une vieille famille byzantine du VIIIe siècle, regorgeant de médecins, de prêtres, de militaires et de diplomates, dont son arrière-grand-père maternel, un certain Alexander Karatheodori Pasha qui fut ministre des Affaires étrangères de l’Empire ottoman à la fin du XIXe siècle. Et le chirurgien de désigner fièrement un encrier, style Napoléon III, qui lui a appartenu: «Je suis un peu conservateur, j’aime rédiger avec une plume. Ce mode d’écriture reflète la personnalité des gens. Je l’emploie pour des personnes pour qui j’ai de l’estime. Cela valorise l’amitié!» Amitié qu’il n’a pas toujours le temps d’honorer physiquement, lui qui se lève à 5 heures du matin pour ne regagner son domicile que vers 22 heures! De gros sacrifices pour les siens. «J’ai réussi professionnellement en volant du temps à ma famille», admet-il, en guise de mea culpa. «Cette année, j’ai pris trois jours de vacances dans un hôtel grec», concède ce passionné qui se ressource en marchant, en allant à l’opéra et en lisant des livres philosophiques ou historiques.
Laurence Bézaguet

https://www.amge.ch/2014/10/20/le-celebre-chirurgien-cardiaque-bernard-faidutti-est-decede-jeudi/